Les héros Sedjikpa et Segbeu (d'aprés J. Girard)
A l'époque des Tingnon, vivaient deux héros (kulitabahi) qui appartenaient également à leur race. Ils avaient pour noms : Sedjikpa [Sedyikpa] le chasseur et Segbeu [Segbô] l'agriculteur. Leur concours fut précieux aux hommes dans les guerres qu'ils menaient contre les monstres et les génies de la brousse. Les Ouobé ignorent le nom des parents de ces héros mais savent cependant que ceux-ci n'étaient pas frères, avaient le même âge et possédaient une force colossale. " Aux commencements, une amitié solide les liait au génie Kosri détenteur de la force vitale reçue de Kéla. Désireux de la partager, Kosri la divisa en trois parts, entre lui-même, Sedjikpa et Segbeu. Selon une première version, ces parts étaient égales. Selon une seconde explication, Kosri retint la moitié de la force et remit l'autre par parts égales à ses amis. A cette époque se situent les exploits fabuleux des deux héros civilisateurs qui, avec Kosri, représentaient trois puissances formidables intervenant avec efficacité contre le Guinarou.
Après un certain temps, et d'après la première version, chacun voulut dominer les deux autres, mais disent les Ouobé, " il ne pouvait y avoir trois capitaines sur le même bateau ". Leur fraternité fut donc rompue. Ils se séparèrent, divisèrent leur force et Kosri garda pour lui la principale, car " l'emprunteur d'une chose n'en est jamais le maître ". Cette puissance en effet, avait été prêtée plutôt que donnée. Kosri les quitta le premier. Puis à leur tour, Sedjikpa et Segbeu se fâchèrent. Selon la seconde version, les deux héros voulurent, d'un commun accord, se montrer plus forts que le généreux Kosri qui, déçu dans son amitié, leur retira à chacun la moitié de la force dont il les avait pourvus. Longtemps, Sedjikpa demeura le héros préféré des Tingnon qui appréciaient en lui sa haute valeur guerrière et sa grande habileté à la chasse. Sedjikpa se moquait de Segbeu qui, retourné dans son village, se livrait à l'agriculture et voulait ignorer les railleries dont il était l'objet.
Il vivait paisiblement, conservant pour lui seul le secret de sa puissance. Il se sentait cependant capable de porter une montagne sur ses épaules, mais ne trouvait personne pour l'aider à la placer sur son dos. Sedjikpa pendant ce temps, continuait ses expéditions de chasse dans les forêts. Il était si adroit et si fort qu'il pouvait tuer tous les animaux de la terre. Un jour, il captura dans un piège un jeune éléphant. Et lui, qui d'habitude, sans l'aide de quiconque venait à bout des animaux, ne put cette fois abattre l'éléphant. Sa force pourtant considérable n'égalait pas celle de la bête. Il appela à l'aide les hommes de dix villages et tous vinrent lui prêter la main, mais sans résultat. Sedjikpa dut alors avouer sa défaite, en prononçant ces paroles :
- " Allez me chercher Segbeu l'agriculteur, pour qu'il me tue cet animal. " Et Segbeu vint. Dans chacune de ses mains, il saisit une patte de devant de l'éléphant et le déchira d'un seul coup. Après cet exploit, il se tourna vers Sedjikpa, lui serra la main et dit :
- " Je ne peux plus vivre parmi les hommes puisque ma force est connue. Je vais vendre ma force aux animaux de la brousse. " II entra dans la brousse et disparut. Depuis ce jour, les hommes n'ont plus jamais revu Segbeu l'agriculteur, mais c'est lui qui les aide dans les travaux des champs et l'exploitation des plantations. Et lorsque roule le tonnerre, et que brille l'éclair, les Ouobé savent bien qu'ils entendent Segbeu. " Segbeu l'agriculteur a vendu sa force aux animaux destructeurs des plantations, car la volonté de Kéla est dure pour les hommes. Chacun d'eux est à la fois bon et méchant. Segbeu fut contraint par son destin de se conduire ainsi. Sedjikpa entreprit par la suite de parcourir le monde entier, l'emplissant du bruit de ses exploits. Mais sa force n'égala jamais celle de Segbeu, car il n'avait pas comme lui reçu celle des animaux en partage.