La distinction Guéré - Wobé
La tradition orale, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, ne fait état que d’un seul terme pour désigner l’ensemble des groupements actuellement appelés guéré et wobé. Ce terme est Wè, ou Wèon ou encore Wènion, et signifie "les hommes qui pardonnent facilement ". Ni le terme Guéré, ni le terme Wobé n’existaient dans la société traditionnelle, mais furent créés par l’administration militaire, au moment de la conquête, sur la base d’un malentendu à la fois géographique et linguistique, dans les conditions suivantes :
- Le terme Guéré : la pénétration du futur pays "guéré " s’est faite par le Nord, à partir du poste de Logoualé. Parvenu sur les bords du Kô, qui marque la limite orientale du pays dan, l’officier commandant la colonne de pacification s’enquit du nom des populations habitant « de l’autre côté de la rivière ». Il lui fut répondu qu’il s’agissait des « Guémin », littéralement « les hommes de Gué », groupement que les Dan connaissaient bien pour lui avoir souvent fait la guerre, mais qui n’était en réalité que l’antenne la plus septentrionale de la confédération guerrière Zagna. Cette appellation fut officiellement retenue en 1911 par 1’Administrateur du Cercle du Haut-Cavally, le capitaine Laurent, qui, pour désigner l’ensemble des populations au sud des Dan, "leur a appliqué la dénomination Guéré ou Gué en usage chez leurs voisins du Nord ". La désinence "ré" de Guéré semble être une déformation du terme Dan mE, homme. Gué-mË, les hommes de Gué ;
- Le terme Wobé : Les circonstances exactes (la colonne militaire venait-elle de Séguéla ou de Man) et la date d'apparition du terme Wobé sont inconnues. Mais le processus decrit est identique au précédent. A la question de savoir par quel terme étaient désignées les populations dont on allait entreprendre la conquête, il fut répondu qu’il s’agissait des Wè, et l’interprète, qui était Dioula, s’exprima par les termes "Wé-bé". "Là-bas ? Ce sont les Wé " . La transcription donna Wobé.
(d'après A. SCHWARTZ)
Les populations guéré et wobé ne constituent donc qu’une seule et même ethnie, l’ethnie Wè. Il faut noter cependant qu'avant la pèriode coloniale, il n'existait aucune forme d'organistion regroupant l'ensemble des Wès, et "l'identité ethnique" Wè était beaucoup moins importante que l'appartenance à une lignée ou à un clan (=canton, groupe de villages alliés). La "frontiére culturelle" avec les peuples voisins était, donc, assez diffuse. Ainsi, certains groupements wobés septentrionaux ont incontestablement une origine et une culture mixte dan-wé ou toura-wé tandis que plusieurs petits "peuples" (niaboua, niédéboua...) ont une culture intermédiaire entre celle des clans wés et bétés voisins.
La notion d'appartenance ethnique a pris de l'importance lorsque la colonisation a mis en contact les Wès avec des populations appartenant à des univers culturels différents (musulmans dioulas, akans, burkinabés...), d'autant plus que la fonction politique, militaire et religieuse du clan a été totalement abolie. Ceci explique probablement la "réussite" des termes guéré et wobé qui ont finalement supplanté le terme wè chez les populations elles-même. Ce dernier, redécouvert par les ethnologues, a été adopté par les intellectuels mais n'est pas encore d'un usage courant. En réalité, les wès utilisent souvent le terme guéré pour désigner l'ensemble des wés (guérés, wobés, khrans) et les petites ethnies apparentés (oubi, niaboua...).
Cette création/substitution du nom de l'ethnie n'est pas particulière aux wés. Les termes "bétés" et "yacoubas" serait, par exemple, des créations coloniales tandis que celui de "dioula", synonyme de commercant musulman, ne concernait à l'origine que les quelques milliers d'habitants de la région de Kong qui n'avaient pas étés exterminés ou vendus comme esclaves par les sofas de Samory Touré.
Serge LAURENT