Accueil


Histoire des Wé

La grande forêt, refuge des Krou avant la colonisation

La tradition orale et les témoignages des premiers navigateurs européens ayant abordé les côtes du Liberia et de la Côte d'ivoire montrent les populations Krou, dont fait partie le peuple Wé, sont implantées depuis au moins le XVème siècle sur les territoires où elles sont encore aujourd'hui. Elles occupaient jadis un espace qui s'étendaient à la fois plus au nord et plus à l'est, au delà du Bandama. Les invasions Mandingue (= dioula) au nord et Akan à l'est ont, en effet, contraint ces peuples à abandonner la zone des savanes et à limiter leur habitat à la grande forêt primaire du Liberia et de la Côte d'ivoire(voir la carte "La mise en place des populations Krou XVIe-XIXe siècle", d'après A. Schwartz 1993).


(Danse du masque guéré,Viard, 1934,les guérés peuple de la forêt)

Le pays Wé est ainsi resté relativement à l'écart des influences extérieures jusqu'au seuil du XX éme siécle du fait, en premier lieu, des formidables barriéres naturelles que constituaient la forêt tropicale et les montagnes du pays Dan (=Yacouba).

Mais les causes de cet isolement étaient aussi économiques car, ormi la noix de cola, qui alimentait un commerce actif entre le nord du pays Wé et la région de Séguela, la grande forêt avait peu de biens précieux à offrir aux marchés cosmopolites du Sahel ou aux traficants européens de la Côte. L'or d'Ity n'avait pas encore été découvert et la région ne participait pas au traffic des esclaves.

Ajoutons que les populations forestiéres Wé comme leurs voisins Dan, Krou et Bété étaient connues pour leur farouche esprit d'indépendance autant que pour leur férocité au combat, ce qui a probablement dissuadé bien des marchands et des envahisseurs de s'aventurer dans ces régions. Le nom de "Côte des Malegents" (= Côte des mauvaises gens) avait même été donné à la moitié Ouest de la facade maritime de la Cote d'Ivoire tandis que la partie Est, plus accueillante au trafiquants et aux missionnaires était qualifiée de "Côte des Bonnegens".

La conquête du pays Wé par les français

L'exploration du pays Wé par les français fut trés tardive comparée aux autres régions de Côte d'ivoire, en raison, notamment, de l'indétermination des frontiéres avec le Libéria voisin qui a longtemps revendiqué les régions à l'ouest du fleuve Sassandra. A partir de la convention franco-libérienne de 1892, la France obtient la souveraineté sur les terres à l'est du fleuve Cavally, mais en réalité seule l'embouchure de ce fleuve était connue à cette époque et la frontiére était supposée courir plein Nord depuis le Cap des Palmes jusqu'à une riviére au Nord de Man que les négociateurs des deux parties ont identifié par erreur comme un affluent du Cavally.


Hostains au milieu des Wés
(La mission Hostains-d'Ollone,Le Tour du monde, 1901)

En 1899, la mission Hostain-d'Ollonne remonte le cours de ce fleuve depuis la mer jusqu'à la Guinée avec une vingtaine de tirailleurs djiminis et découvre que le fleuve fait un coude vers l'ouest, au niveau de la ville de Taï, avant de reprendre la direction du Nord, 100 kilométres plus à l'ouest, dans les environs de Toulepleu. Les résultats de cette expédition permettront de délimiter les frontiéres dans un sens nettement défavorable au Libéria puisque toute la région entre le Cavally et le Sassandra est finallement attribué à la colonie de Côte d'Ivoire.

Le récit de la mission Hostain-d'Ollonne par le capitaine d'Ollonne est un texte tout à fait remarquable aussi bien en tant que récit d'exploration que comme premiére source historique sur les peuples traversés par la mission et bientôt conquis. Avec le livre de R. Viard, administrateur du cercle de Guiglo dans les années 30, ce texte est un peu l'équivalent pour les Wés de ce que peut être "La guerre des Gaulles" de Jules César vis à vis de l'histoire des gaulois.


Femmes guéré jouant les soldats lors d'une cérémonie
(Viard, 1934,les guérés peuple de la forêt)

Les déplacements forcés pendant la période coloniale

Soucieux de contrôler les populations éparpillées dans la forêt et surtout de leur faire payer l'impôt, les colonisateurs français ont obligé les Wé à construire des routes en instituant le travail forcé. Les Wé ont été contraint de quitter leurs anciens villages pour les reconstruire au bord de ces routes.


(Viard, les guérés peuple de la forêt)

Beaucoup se sont réfugié un temps dans la forêt pour échapper à ces réquisitions ainsi qu'au recrutement de chair à canon pour les tranchées de la première guerre mondiale. Il semble que ces déplacements de population, dans des zones souvent insalubres, aient entraîné une catastrophe sanitaire à travers une recrudescence de la maladie du sommeil. Il est cependant très difficile d'en estimer l'ampleur car les documents sur cette époque sont rares.


(source IRD)

La fuite de plusieurs groupements Wé représentant un tiers des Wé ivoiriens vers le Liberia a provoqué un net assouplissement de la politique menée par les autorités française et une grande partie des réfugiés sont revenus par la suite sur leurs terres.

Indépendance et colonisation du territoire

Cette forêt inhospitalière est devenue un territoire aux ressources "inépuisables" lorsque les colons français puis l'État ivoirien ont développé la coupe du bois, la culture du cacao et celle du café. D'autant que les nombreuses maladies (paludisme, maladie du sommeil...) qui décimaient les populations locales pouvaient à présent être combattues efficacement par les médicaments modernes. En quelques dizaines d'années, la forêt primaire a presque totalement disparue et avec elles de nombreuses espèces animales (panthères, éléphants, singes...) qui n'existent plus que dans les anciens contes.


Le Céphalophe zébrée : espèce endémique stricte de la zone de Taï. (photo Lauginie, UNESCO)


Nid d'un Daman d'arbre. La forêt sacrée de Zaïpobly en abrite un grand nombre.(photo UNESCO)

Cette destruction des écosystème n'a guère profité aux populations locales. L'essentiel de la richesse généré ces nouvelles activités agricoles a été capté par les métropoles ivoiriennes et françaises ainsi que, dans une moindre mesure, par les commerçants, européens ou libanais, assurant les échanges entre la zone cacaoyère et le reste du monde.


Séance de libation à Zaïpobly. Tournés vers l'est, les Sages demandent l'autorisation, la protection et la bénédiction du Kwi avant toute activité dans la forêt sacrée. (photo UNESCO)

De plus, une véritable "ruée vers l'or" a amené des millions de paysans de la zone des savanes (akan ivoiriens et dioula ivoiriens, maliens ou burkinabés) vers le front pionnier de la grande forêt. Les conseils de villages ont attribué des terres en prêt gratuit aux nouveaux arrivants. En effet, selon la tradition Wé, la terre appartient à la collectivité villageoise Wé et ne peut en aucun cas être vendue ou louée.

 

Ce mode de gestion de la terre est d'ailleurs partagé par de nombreux peuples de Côte d'ivoire, par exemple les sénoufos. L'usufruit des parcelles est attribuée par le chef de village à des individus, Wé ou non-Wé, en fonction du nombre de personnes à charge ainsi que d'un droit d'usage préférentiel pour celui qui a défriché et cultivé une terre. Aucune compensation financière n'est requise(1). De vastes zones ont également étées vendues par l'État à de grandes sociétés qui n'ont pratiquement pas eu recours à la main œuvre autochtone.

(Source PAMS department, University of Canterbury, Christchurch, New Zealand)

La disparition de la forêt vierge (=forêt primaire), la dégradation des zones défrichés et l'essor démographique ont créé une situation de pénurie de terre qui a profondément modifié les relations interethniques en pays Wé comme dans tout le Sud-Ouest de la de la Côte d'ivoire. Dans de nombreux cas, les migrants ont nié le droit coutumier Wé et revendiqué un droit de la propriété sur terre empruntée (transmission par héritage, vente...). Par ailleurs, les forêts et les lieux sacrés des Wé ont souvent étés détruits ou abîmés par les migrants qui ne respectaient pas les traditions locales(UNESCO, cas de la forêt sacrée de Zaïpobly). Cette situation a engendré une tension permanente entre les Wé et les populations non autochtones qui ont "colonisé" la région depuis l'indépendance.


Rôle et organisation du Kwi de Zaïpobly. La gestion de la forêt sacrée de Zaïpobly est le fait du Kwi ; à l'origine, le Kwi était une institution juridictionnelle et policière dont la compétence s'étendait sur tout le complexe ethnique.En deuxième position se situe le " Séan-lé ". c'est le porte de parole de Yiré-ba. Il sert d'intermédiaire entre celui-ci et les Kwi-Agnourou.En troisième lieu, le groupe des " Kwi angnonou " ou enfants du Kwi, groupe d'initiés chargés d'exécuter les grandes œuvres (main active du Kwi) ; ils jouent également le rôle d'espions, de détectives. Cette société veille sur la forêt depuis son institution en site sacrée, à la fondation du village. L'autorité des Kwi est très redoutée parce qu'en mesure d'infliger des sanctions drastiques parfois d'une manière foudroyante. C'est principalement pour cette raison que les anciens leur ont confié la gestion quotidienne de la forêt sacrée.(photo UNESCO)

L'histoire de ces vingt dernières années est donc marquée par de brusques poussées de violence entre les différentes communautés ethniques. L'état a laissé pourrir la situation et souvent donné raison aux migrants au nom du principe houphouetiste selon lequel "la terre appartient à ceux qui la cultivent". Ces incidents sont devenus de plus en plus fréquents et ont finis par entrer en résonance avec la situation politique tendue de la Côte d'ivoire, jusqu'à la tentative râtée de coup d'Etat de septembre 2002.

Les massacres et l'épuration ethnique

Aprés l'invasion de l'Ouest ivoirien par les forces armées du Libéria en décembre 2002,les milices rebelles et leurs mercenaires ouest africains ont chassé la plus grande partie de la population autochtone Wé des territoires ou elle était la plus dense (Kouibly, Fakobli, Bangolo) et brulé de nombreux villages.

Une petite partie des réfugiés a commencé à retourner dans la zone dont les troupes de l'ONU ont pris le contrôle en 2003. Ce mouvement est de peu d'ampleur en raison des pogroms de Wé que continuent à commettre les milices dozos (chasseurs traditionnels burkinabés et maliens affiliés à la rébellion) que les forces de internationales ne souhaitent pas désarmer. Ces massacres sporadiques ont fait des centaines de victimes et maintiennent un climat de terreur sur les Wé qui vivent encore dans leur région d'origine.

Dans la maison de L'ONU

En une cinquantaine d'années, le peuple Wé est ainsi passé du statut de peuple de la forêt accueillant vis à vis des colons sahéliens à celui d'un peuple dominé vivant dans une savanne cultivée par de nombreux peuples et pleine de miliciens burkinabés, de casques bleus bangladeshis ou francais, de membres d'ONG internationales. Rappelons que le secrétaire général des Nations unies, Koffi Annan , a déclaré, le 9 août 2002 , à New York, à l'occasion de la Journée internationale des peuples autochtones que ces peuples avaient désormais "leur maison aux Nations unies". Mais n'est ce pas plutôt l'inverse?

Serge LAURENT

(1)L'immigration dans la sous-préfecture de Taï   http://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:22627
Auteur(s) : Schwartz, Alfred
Source : ORSTOM, sl (CI), 1971, 9 p. multigr., bibl., tabl.
Date : 1971,   Cote : F B22627/1
Pages : 11,  Taille (si déchargement complet) : 708.13ko
Mots clef : COTE D'IVOIRE; TAI SOUS PREFECTURE / RELATIONS AUTOCHTONES ALLOCHTONES; BAULE; GUERE; OUBI; IMMIGRATION; COLONISATION AGRICOLE; ACCES A LA TERRE; MILIEU RURAL; RAPPORTS SOCIAUX
Commentaire de Wobebli : L'auteur décrit l'attribution en usufruit de la terre aux paysans par la collectivité villageoise Wé et Oubi en 1970. Il craint que les allogénes et allochtones ne considèrent ce pret comme un don définitif.


Accueil