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La société des hommes panthères en pays wé


La fraternité des hommes-panthère est une société initiatique qui développe les qualités guerrières de ses membres, exclusivement masculins, à travers un enseignement magico militaire. L'identification à l'esprit animal de la panthère (= léopard) est utilisé pour lever les inhibitions et créer un état de transe utilisé à des fins guerrières ou sexuelles. C'est pourquoi, en pays wé, les hommes-panthère se désignent eux-mêmes par le terme de tchipagnon (tchi=panthère, pa=entrer dans, gnon : gens). La population les appelle aussi blagnon (hommes qui contournent) car ils attaquent leurs ennemis par surprise et en se dissimulant derrière des masques.

La préparation de fétiches guerriers (sortilèges et talismans protecteurs) et l'entraînement au combat étaient l'une des fonctions importantes des tchipagnons à l'époque des guerres tribales. Ils ont repris de l'importance avec la montée de la violence dans l'ouest ivoirien.

Une autre raison du succès des hommes-panthère est le fait qu’ils possèdent un "fétiche de séduction des femmes", le tchi tchoho. Ce fétiche, qui peut prendre plusieurs formes (plantes, poudre) est très réputé et très demandé notamment par les non-initiés. Il peut aussi être utilisé par une femme pour séduire un homme.

Cette confrérie semble avoir eu également un rôle de police. Selon une source familiale de la région de Kouibly, les hommes-panthères interviennent pour mater les voleurs et les personnes dont la brutalité devient incontrôlable. Gardiens des traditions, ils réagissent parfois violemment lorsque les bois, riviéres ou objets sacrés sont profanés, ce qui entraine de violents conflits avec les protestants et les populations qui ont colonisées l'ouest ivoirien.

Les chants des hommes-panthères évoquent avec humour l'incapacité de leur confrérie à empecher l'invasion de leur pays par les blancs au début du XXéme siécle. Depuis l'occupation de l'ouest ivoirien par des troupes mercenaires venues du Libéria (2002-2008), la région d'implantation des tchipagnons est sous la domination d'une autre confrérie magico-militaire, les chasseurs dozos. Formé exclusivement de burkinabés, maliens et ivoiriens malinké, cette milice armée de fusils de chasse n'est pas concernée par le processus de désarmement malgré plusieurs massacres atroces et quelques sacrifices humains à son actif.

Les hommes-léopard en Afrique, dans l'imaginaire colonial et la bande dessinée

La société des hommes-panthère n'est pas spécifique au peuple wè puisqu'elle est présente dans de nombreux pays de l'Afrique de l'Ouest (Libéria, Guinée, Côte d'ivoire) et surtout d'Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Centrafrique, Zaïre ...). Cette large diffusion dans toute l'Afrique noire pourrait indiquer une origine très ancienne. Cette confrérie a suscité une violente hostilité des autorités coloniales qui se sont partout acharnées à la détruire. Les colonisateurs considéraient les hommes-panthère, ou hommes-léopard, comme une bande de gangsters d'inspiration diabolique faisant régner la terreur sur les populations africaines. Selon Claudine Brelet, "Cela n'a rien d'étonnant si l'on admet que cette société se fonde sur la maîtrise de la violence et de la sexualité, deux pulsions que les sociétés soumises à la vision du monde judéo-chrétienne ont appris à refouler depuis fort longtemps."

Homme-léopard et sa victime - Musée Royal de L'Afrique Centrale (Belgique)
Homme-léopard et sa victime - Musée Royal de L'Afrique Centrale (Belgique)

Cette mauvaise réputation s'est forgée au début du XX siècle à la suite du démantèlement d'un groupe d'hommes-léopard, les aniotos, qui selon les autorités coloniales au Congo belge (= Zaïre, = Congo Démocratique), auraient assassiné des centaines d'africains. Les aniotos utilisaient des fausses griffes de panthère pour tuer leurs victimes et laissaient de fausses empreintes de cet animal, de manière à faire croire qu'il s'agissait de l'agression d'un félin. Les auteurs de bandes dessinés et les romanciers ont ensuite développé le mythe. Bob Morane et Tintin ont ainsi eu affaire aux hommes-léopard. Tarzan a même combattu leur reine.

Aujourd’hui encore, il existe une forte hostilité entre les hommes-panthères et certaines Eglises protestantes, très prosélytes en pays Wé, qui continuent de considérer cette confrérie comme un groupe de suppôts de Satan. Les relations sont, par contre, moins tendues avec l'Islam et l'Eglise catholique puisque de nombreux adeptes de ces religions sont également membres des hommes-panthères.

Certains auteurs ont élaboré une variante du mythe plus favorable aux hommes panthéres et qui rend mieux compte de leur fonction sociale en pays wé. Ainsi, prince Dika Akwa (Cameroun) fait dire à un hommes-panthères "ils sont en fait la police secrète de l'Afrique noire, ceux qui frappent le coupable que nos tribunaux ont condamnés. Non certes les tribunaux à la mode des blancs, mais ceux de la forêt, des lacs et des montagnes. Nous sommes le bras armé de nos chefs traditionnels. Nous existons depuis des siècles. Peut -être sommes-nous aussi anciens que l'Afrique elle-même."

Un homme léopard revele le secret à Tintin
Un homme-léopard révéle le secret dans "Tintin au Congo"

Les hommes-panthères chez les Wé

(d'aprés les travaux du Dr Bony Guiblehon Enseignant-chercheur au département d'anthropologie/sociologie de l'Université de Bouaké).
La société des hommes-panthère semble être apparu assez récemment, probablement vers la fin du XIX ème siècle, chez les Wé du Nord (= wobé) et son influence tend à se développer depuis quelques années. Selon les initiés, le village de Siambly l'a reçu initialement du village de Gaman qui appartient au peuple voisin des Toura mais où les hommes-panthères ont disparu aujourd’hui. La violence de la panthère est donc conçue comme fondamentalement étrangère à la civilisation Wé puisque d'origine animale et étrangère. A partir de la Maison des Panthères de Siambly, la fraternité a essaimé vers de nombreux village du pays wobé puis a franchi le fleuve Sassandra et s'est répandu chez deux petits peuples voisins et étroitement apparentés aux Wé, les Niaboua et les Niédéboua. Par contre, il ne semble pas y avoir d'hommes-panthère chez les Wé du Sud (Guéré) ou du Sud -Ouest (Khran). A l'heure actuelle, la fraternité des tchipagnons est implanté dans environ la moitié des villages wobés, les deux tiers des villages niaboua et tous les villages niédéboua.

L'initiation Taan

Les candidats à l'initiation sont sélectionnés lors d'un entretien préalable avec le Maître de la Maison de la Panthère qui sonde leurs motivations et leur aptitude à rentrer dans la confrérie. Les novices versent une contribution (un coq, un chien, des pagnes Kita, un habit Flae et des noix de colas) et sont ensuite initié au premier degré de la confrérie qui est appelé "Taan", ce qui signifie "apparaître". Cette étape dure une seule journée au cours de laquelle le nouvel initié subit l'agression d'un homme-panthére qui le frappe violemment par surprise avant de lui griffer le dos. Le Maître de la Maison de la Panthère dispense ensuite les premiers enseignements thérapeutiques sur les plantes médicinales ainsi que les codes et règlement de la confrérie. Les novices doivent ensuite jurer de respecter le secret concernant toutes ce qu'ils ont appris tout en absorbant un liquide initiatique très amer. S'il subit cette étape avec bravoure, l'initié sera autorisé à poursuivre son initiation pour devenir un authentique homme-panthére. Il peut également choisir de s'arrêter au premier degré et de rester, en quelque sorte, un sympathisant du groupe.

L'initiation Srou pa

L'initiation proprement dite, celle qui permet de s'identifier à l'esprit de la panthère, est appelée initiation Srou pa, ce qui peut se traduire par "entrer dans le fétiche" ou "entrer dans le médicament" Les novices effectuent leur initiation Srou pa dans des camps en forêt pendant 6,7 ou 12 mois selon les régions. Pendant cette période, ils subissent une série d'épreuves physiques et psychologiques destinées à les endurcir : passages à tabac, scarifications en forme de griffe de panthère, têtes rasées, bivouac au milieu des ordures et des excréments, corps peints, sauts d'obstacle, course à pied, privation de sommeil et de nourriture. L'arbitraire des initiateurs doit être subit sans protestations pour apprendre l'obéissance et la ténacité. Cette souffrance vécue en commun permet également de souder le groupe et de lui donner un sentiment de supériorité sur ceux qui ne l'ont pas subi. Les novices s'entraînent aux techniques de combat au couteau, à la lance et à l'arc. Ils simulent des embuscades et des poursuites dans la jungle. A certains égards, l'initiation n'est donc pas très différente des techniques utilisées à toutes les époques pour former des combattants d'élite (janissaires, légionnaires français, marines américains...) Dans le même temps, un enseignement magico médical leur est donné pour soigner et combattre en utilisant les ressources de l'environnement (plantes médicinales, anti-venin, poisons, filtre de séduction, filtre de vérité, plantes irritantes utilisé pour le combat).

Fête de fin de l'initiation et année sabbatique

L'initiation se termine par une grande fête publique qui dure deux jours. Les nouveaux initiés assurent le spectacle et les jeunes filles leur répondent. La sensualité de leurs danses et les jeux de séductions qui accompagnent la cérémonie communiquent une excitation sexuelle qui se libère à la nuit venue.

L'année qui suit l'initiation est consacrée exclusivement à l'approfondissement des pratiques magiques et à la séduction. Les initiés parcourent les lieux de rassemblements de la région (marchés, match de foot...) pour rencontrer des jeunes femmes avec lesquelles ils font l'amour par pur plaisir et sans perspective de mariage. Ces unions avec un tchipagnon de l'année sont considérées comme éphémères et sans conséquences, c'est à dire sans obligation de mariage. Leur pouvoir de séduction est supposé à son zénith, même pour les hommes très laids. Ceux qui échouent sont des hommes-panthères ratés. Il leur arrive fréquemment d'exercer leurs talents sur des femmes mariées et le mari qui proteste risque des représailles. C'est évidemment le noeud d'un conflit avec les chrétiens protestants intégristes qui s'opposent parfois très violemment avec les tchipagnons.


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