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Mme Matala Masiéta (Psychothérapeute) :
Un coeur qui n’est pas guéri ne peut pardonner

Fraternité Matin - 4/24/2003 1:29:55 PM Consultante à MAP International (Medical assistance programme), Mme Matala Masiéta est psychothérapeute. Témoin de la guerre en Côte d’Ivoire, où elle réside depuis cinq ans; elle a vécu aussi de la guerre dans son pays natal, le Congo Démocratique. Depuis le début de la crise ivoirienne, elle concourt à la formation de conseillers psycho-spirituels auprès de diverses associations (religieuses surtout), dans l’optique de préparer les esprits à la réconciliation et à la paix.

Vous animez des sessions de formation un peu partout, dans l’optique de l’après-guerre. De quoi s’agit-il ?
Avec ce qui est arrivé en Côte d’Ivoire, nous pensons qu’il y a un grand travail à faire. Nous avons ainsi voulu doter les différentes communautés chrétiennes, les ONG, de conseillers psycho-spirituels pour la prise en charge des personnes traumatisées surtout en période de guerre; ce, dans le but de préparer l’après-guerre, pour une Côte d’Ivoire réconciliée, une Côte d’Ivoire tout à fait guérie. Pour y arriver, il faut restaurer l’équilibre psycho spirituel des personnes affectées par la guerre. C’est surtout à cause de cela que nous avons engagé ce processus. Car nous savons qu’un cœur qui n’est pas guéri, n’est pas prêt pour pardonner. Un cœur qui a subi des traumatismes a besoin d’être écouté, compris, avant de pouvoir passer à ce processus de réconciliation.

Voulez-vous dire que le pardon ne saurait être un acte automatique ?
On ne peut se lever et juste dire : “ Pardonne, oublie ” à quelqu’un qui a vu la jambe de son frère coupée sous ses yeux, l’œil de son enfant crevé, sa fille violée… Il en reste irrémédiablement affecté. Vous savez comment nous vivons dans nos communautés africaines. La solidarité est très forte, et ce qui peut toucher un neveu, nous touche. Il y a des choses qui ont affecté tellement la population, qu’il nous faut absolument faire quelque chose. Nous ne pouvons pas rester insensibles. C’est pourquoi nous avons commencé à animer des formations au niveau de différentes ONG, des assistants sociaux, des médecins…

Est-ce votre première expérience ?
Dans notre pays, la RDC, nous sommes déjà passés par des guerres. Au niveau du Congo, c’est le même travail que j’ai fait. Nous avons formé des conseillers psycho spirituels. Mais là, nous avions pris comme cadre l’hôpital. Notre approche est une approche holistique et intégrée. C’est une approche nouvelle qui permet une prise en charge totale de la personne. L’individu est considéré dans toutes ses interactions, ce qui le compose et ce qui le conditionne. L’ensemble des éléments et des aspects de sa vie sont également pris en compte. Cela donne un sens et une vue nette de l’identité de la personne. Quelqu’un qui ne se connaît pas peut être amené à prendre des armes pour se venger. Et la vengeance ne vient qu’aux cœurs qui ne sont pas guéris, aux cœurs qui ne se comprennent pas dans leur propre position.

Quelle différence y a-t-il entre ce concept et les autres concepts de psychologie sociale auxquels nous sommes habitués ?
Il y a une grande différence. Nous prenons en compte tous les aspects de l’être dans sa totalité. C’est une approche intégrale, une approche tout à fait intégrée pour soigner la personne, pour soigner la blessure spécifique qu’elle présente. Si c’est un problème physique, nous irons la regarder dans sa communauté. Est-il du Nord, de l’Ouest, de l’Est ou du Sud ? Quel impact un homme de sa région peut-il avoir par rapport à cette guerre plutôt que quelqu’un d’une autre région donnée ? Comment les traumatismes vécus affectent-ils son esprit ? Quel est l’impact de son psychisme par rapport à cette situation physique qu’il vit (amputation, viol…) Comment cela affecte son âme ?… Nous prenons et le physique et le spirituel, et le psychisme et le social en compte pour la guérison intégrale de la personne. Son esprit est-il disposé à pardonner ou est-ce la vengeance qui naît? S’il est guéri de ses émotions, de ses mauvais sentiments, des rancœurs, des ressentiments, alors bien qu’il va demeurer amputé de la jambe ou de tout autre membre, il peut nourrir un bon esprit de réconciliation et de pardon.

Cette méthode a-t-elle déjà fait ses preuves ?
Elle a déjà fait ses preuves, ici même en Côte d’Ivoire. Nous avons des cas au niveau de Yamoussoukro par exemple où nous avons rencontré des personnes qui avaient de la haine dans le cœur, des ressentiments terribles. Il y a l‘exemple d’une assistante sociale qui est originaire de l’Ouest. Elle était torturée par le problème entre Wê et Dan et tenait à se venger d’une façon ou d’une autre. Après avoir suivi nos cours, elle se dit aujourd’hui capable de pardonner. Sa mère et sa grand-mère avaient assisté à des tueries atroces. Les autres membres de la famille avaient été tués sous leurs yeux. Sa grand-mère venue à Yamoussoukro lui avait fait jurer de ne plus avoir d’amie de l’autre ethnie de toute sa vie. Un autre exemple ? Au Campus pour Christ tout récemment, il y a un pasteur qui a connu une guérison tout à fait complète dans son cœur. Il nourrissait une idée de vengeance terrible. Il ne pouvait pas pardonner ce qu’il avait vu à l’Ouest. Son père avait été mis nu sous ses yeux. Il connaissait certaines personnes parmi les agresseurs. Après les cours, il a fini par avoir la force de pardonner. N’est-il pas trop tôt pour dire que ces personnes sont guéries et ont pardonné ? La vengeance, dit-on, est un plat qui se mange froid… Nous avons d’autres exemples qui nous fondent à dire que ces gens ont pardonné. Nous avons le cas d’une jeune dame qui avait décidé de ne plus jamais mettre les pieds dans la clinique d’un médecin qui avait été tué. Elle tenait à se venger des parents dudit médecin qui avait été suspecté d’avoir partie liée avec les rebelles… Cette dame est revenue à de meilleurs sentiments. Elle assure avoir compris la dimension spirituelle qui conduit au pardon. Le processus d’aide dans l’approche que nous avons réside dans la profondeur. L’individu est touché, il est guéri. Il se comprend dans ses valeurs, dans ce qu’il est. Il est amené à comprendre qu’il n’a véritablement rien perdu malgré le drame que vient de connaître son pays, malgré l’amputation qu’il a subie lui-même. Il pardonne. Les émotions sont guéries et les sentiments pénibles sont mis en suspens. Le cœur est guéri et le processus de réconciliation commence alors.

Quels sont les résultats obtenus en RDC, votre pays, avec cette méthode ? Les cœurs sont-ils vraiment guéris et tout esprit de vengeance conjuré ?
En RDC aujourd’hui, les gens occupent leur vie dans la louange, dans l‘adoration, dans la chanson. Ils ont laissé les politiciens à leurs problèmes. Ils ont compris qu’ils n’ont pas besoin d’entrer dans leur jeu. Le Congo a subi de graves situations de guerre, mais nous ne sommes jamais arrivés à la dimension de guerre tribale. Les tribus s’entendent. La situation de guerre est réservée aux politiciens. C’est à cela que nous voulons lutter pour la Côte d’Ivoire. Il faut faire en sorte que les relations sociales soient préservées. La Côte d’Ivoire aussi a été pendant longtemps un pays de forte convivialité… Je reste optimiste. C’est une conviction et une espérance. La seule chose en laquelle nous devons croire, c’est de nourrir cette espérance. Propos recueillis par ELVIS KODJO

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